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Autoportrait

 

Francine Labelle

Démarche d'artiste

513 rue Principale

Saint-Didace, Qué. J0K 2G0

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Démarche d’artiste
 
La réponse à la question : « pourquoi est-ce que j’enseigne comme j’enseigne? », dépend de la réponse à la question : « pourquoi est-ce que je dessine et que je peins comme je peins? »
Quand j’ai découvert la transe du dessin en 1979 dans le cours de dessin de François Déry, je ne savais pas ce qui se passait, pourquoi tantôt « je l’avais » et tantôt, je l’avais perdu, il ne se passait plus rien, c’était simplement laborieux.
C’est en lisant le livre  Drawing on the Right Side of the Brain  de Betty Edwards, Dessiner grâce au lobe droit du cerveau, que j’ai compris : c’est la perception de l’espace négatif qui induit la transe. Et lorsque je perdais cet état magnifique, il suffisait de me remettre à regarder volontairement « à côté », pour que je retrouve la perception si intéressante… et efficace quant au résultat. Et j’ai alors compris aussi que c’est ce que vivait Cézanne, Rembrandt etc.
J’ai découvert la couleur seulement plus tard et laborieusement, dans les cours de design et de peinture de Jean Goguen. Un Maître de la couleur. Un Maître pédagogue, dois-je dire.
L’état de terreur et de bonheur dans lequel me mettait le fait d’associer des couleurs et de percevoir leurs vibrations qui changent constamment en fonction des nouvelles associations surgies sur le tableau, m’a littéralement transportée dans un lieu intérieur difficile à décrire. J’ai compris plus tard qu’il s’agissait bien sûr d’onde alpha, laquelle dit-on, est réputée plus reposante que le sommeil.
Je venais de l’univers de la philosophie. J’avais étudié la philo à Strasbourg où je me posais intensément la question : pourquoi est-ce qu’on vit quand tout est si absurde ? Philippe Lacoue-Labarthe qui fut pour moi un Maître, et un Maître de la contradiction, nous avait initiés à Nietzsche que je lisais alors avec la plus grande inquiétude et le plus grand bonheur, et j’avais adopté cette façon de voir en gardant bien à la conscience la perception constante que tout est contradictoire, en tension, en accord avec la vieille pensée chinoise taoïste que c’est cette contradiction, cette tension même qui garantit la vie… et son humour.
L’émerveillement devant le simple fait de percevoir, et de comprendre ceci, était au cœur de mon intérêt et devait bien sûr aboutir à m’amener aux beaux-arts…
La peinture m’a jetée dans des états de transe encore plus profonde que le dessin, m’amenant souvent en était de rêve éveillé où le tableau se construisait à partir de l’abstrait et s’orientait étrangement vers une figuration onirique imprévisible.
J’ai alors compris que si je dessinais régulièrement, toujours avec la perception de l’espace négatif, ce que je dessinais et évidemment me parlait, m’attirait, visages, modèles, espaces, natures mortes, animaux, réapparaissait finalement dans mes tableaux, mais transformé. Comme si le rêve magasinait des formes vues et les associait de façon surprenante, la main faisant confiance à l’impulsion et ne posant pas de question. Il fallait cependant travailler rapidement et bien sûr, ne pas être dérangée auquel cas, cet état de transe était perdu et le fil était rompu.
Mais ce que j’ai compris de plus sidérant en couleur et qui nourrit constamment ma peinture est le phénomène de la rémanence. Je peins la rémanence, comme Cézanne qui l’avait découverte, mais qui ne pouvait pas la nommer, le phénomène étant non verbal. La rémanence ? Phénomène optique utilisé par le OpArt : quand, dans le fond de l’œil, la couleur « vire » vers la complémentaire de la couleur voisine. Phénomène excitant entre tous : onde alpha garantie !
J’ai donc compris que la perception de la couleur associée à la perception de l’espace négatif devenait le sujet même de mes tableaux sous prétexte des formes figuratives ou abstraites , et que ça fonctionnait donc même en abstrait ! Et que c’était le fil conducteur pour arriver à cet état de rêve éveillé… C’est ce que je désire faire découvrir à mes étudiants.
Le problème, c’est qu’il semble que ce soit un fil d’Ariane et qu’il y ait souvent un Minotaure au bout du labyrinthe…
La peur accompagne le processus et comme me disait un jour un artiste japonais dont j’ignore malheureusement le nom : « La peur ne s’en va pas, elle se traverse! »
En effet !
Mais le jeu en vaut la chandelle et l’intensité du plaisir vaut bien ces traversées infinies de peurs toujours renouvelées, dont celle du jugement, évidemment…
C’est en décidant de mettre en avant, sur le tableau, cette peur, avec ses couleurs et ses formes, en la mettant en scène, en m’en servant, que j’ai avancé le plus. Les formes et les couleurs imprévues et non « harmonieuses » qui s’en suivaient créaient un état de curiosité d’autant plus grand que le contact avec les émotions sous-jacentes se manifestaient par une gestuelle nouvelle et intrépide… Le tableau se vivait comme un roman policier jusqu’à sa résolution qui pouvait n’advenir que des mois plus tard – les autres tableaux peints entre temps m’enseignant le chemin pour arriver à cette résolution.
Je continue de peindre ainsi, alternant dessin et peinture d’observation et peinture en imaginaire, l’un nourrissant l’autre.
À soixante-huit ans, je me dis que le passage initiatique que constitue chaque tranche d’âge, devrait me mener à de nouveaux espaces intérieurs tout aussi étranges et  épeurants que les étapes antérieures… Et l’approche de la mort devrait pouvoir se dire en taches, avec la surprise, la peur et la sérénité de l’onde alpha toujours garante de cadeaux visuels et de réconfort.
Au fond, c’est ce réconfort que m’ont donné le dessin et la peinture et que la philosophie ne pouvait pas m’apporter.
Quand je dessine ou que je peins, je me sens physique, en relation avec la planète, avec ce qui vit… Et alors bizarrement, j’ai profondément l’impression qu’il n’y a pas de commencement ni de fin comme le croit le vieux chinois.… Je vis.
Est-ce que je crois aux vies antérieures ? J’ai parfois la sensation en peignant de visiter des lieux étrangement familiers et inconnus, d’être parfois un personnage exotique et évident… Mettons que c’est une possibilité intéressante… On verra bien.
 
Francine Labelle